La force d’une première phrase, l’incipit.
Dans cette dernière invitation à écrire votre texte devait inclure trois incipits choisis parmi la liste proposée et démarrer par "Dans mon livre secret....."
Découvrez ci-dessous les textes de cette quatrième invitation à écrire :
Dans mon livre secret, il faut bien l’avouer, c’est un peu le bazar. Je devrais d’ailleurs plutôt dire dans mes livres secrets car j’en ai toujours eu deux. Souvent au fond de mon sac, un carnet papier dont le format restreint permet aussi un glissement dans la poche arrière d’un jean ou d’une veste et bien sûr un classeur numérique sur mon ordi portable. Dans les deux le classement est aléatoire, pour ne pas dire erratique : des mots seuls, des groupes de mots, des mots vrais, des mots inventés, des bouts de phrases, des paragraphes aussi, plus rarement des pages entières. A la relecture, un seul mot suffit parfois pour faire ressurgir une idée. Parfois…
Pas toujours hélas. Tout a commencé par un jour gris, un sale jour de novembre rempli d’idées noires alors, mal installé dans un hall de gare, j’ai listé tout ce qui n’allait pas dans ma vie. Comme tout le monde, j’y fais pas gaffe au début, puis j’étoffe petit à petit, un peu tous les jours, entre deux trains. J’aligne les mots et je m’isole dans ma bulle, rose, rouge, bleue ou noire au gré de mes pensées. Un sifflement déchire l’air et mes oreilles mais mon cerveau analyse l’info à vitesse grand V. Ce n’est qu’un ado qui appelle ses potes déjà près du quai. Joie de vivre à l’état brut, je peux laisser libre cours à mon stylo. Le prochain sera peut-être un sifflement policier et là je me connais, ce sera blocage temporaire de toute imagination. C’est plus fort que moi.
Bernard Lagarrigue
Trois petites histoires
Dans mon livre secret, le froid avait saisit le garçon à la descente du train : un jeune garçon nommé Mickaël a dû partir de chez lui pour fuir la guerre, il a dû quitter sa patrie pour se retrouver comme un réfugié dans un pays plus froid que le sien. Comme lui, ils sont nombreux à avoir dû quitter leur chez eux, sans avoir la possibilité d’avoir des nouvelles de leurs proches restés dans le pays.
Paul est allongé dans l’herbe : que vaut le plaisir d’être allongé dans l’herbe de cette vaste prairie couverte par diverses variétés de fleurs des champs que les abeilles ont le bonheur de butiner ? Paul ne se pose pas cette question, il se contente de profiter de cet instant d’un repos bien mérité après des heures de travail dans les labours. Peut-être qu’il va cueillir des fleurs pour sa mère avant de songer à rentrer dans son foyer.
Tout a commencé par un jour gris : un temps nuageux accueil la naissance de leur bébé. Monsieur et madame Jorétapo sont heureux malgré ce temps couvert, c’est le jour de naissance de leur premier enfant. C’est un garçon, ils décident de le nommer Shayflône, ça veut dire « garçon aîné » en elfique. Après l’avoir lavé, les médecins remettent l’enfant à sa mère pour qu’il puisse prendre son premier repas.
Gérard Pernot
Froid !
Dans mon livre secret, 3 bulles en suspend, me tournent autour. Il me faut les chasser, quoi de mieux que de les poser sur un parchemin.
Bulle N °1 :
Le froid avait saisit le garçon à la descente du train. Durant le trajet il n’avait pas forcément vu, cette inconnue, mais là, avec sa démarche aérienne, et vêtue d’une tunique de couleur ciel d’été, cela le faisait presque rêver. Sur le quai, le garçon s’autorise à lancer la conversation :
– Qu’elle belle robe, c’est pour le réveillon ! En secouant sa main devant son visage et en se mordant la lèvre inférieure. Elle sourit bêtement, sans savoir comment répondre à ce compliment.
Bulle N°2 :
Personne ne lui a demandé comment elle était habillée ce matin-là, et voilà que ce garçon le faisait spontanément. Cet fin d’après midi a pris une tournure à laquelle je ne m’attendais pas. Je n’ai aucune envie de rentrer, ni de me retrouver seule, en tête à tête avec moi même.
– Cela vous tente le Dotti Dotti ? La maison vous offre le champagne, ou peut-être préférez-vous autre chose ? Dit le garçon, en battant avec enthousiasme ses cils épais. Je lui adresse un sourire gourmand.
– On est bien d’accord ! Lance le jeune homme, allons boire des bulles !!!
Bulle N°3 :
Un sifflement déchire l’air, cela l’a pris par surprise, il ne s’attendait pas à ça, dans les vapeurs d’alcool tout s’est évaporé, tout a pris la tangente, l’horloge du temps s’est arrêtée, le brouillard est apparu, les bulles en suspend ont éclatées, et le froid était à nouveau là, à la descente du train.
Velasquez Richard
"Dans mon livre secret je n’en fais pas mention, s’étonne-t-il quelques années plus tard en refermant le cahier poussiéreux sur ses genoux, les yeux plongés dans le vide bleuâtre des tours de béton boursouflées d’ennui, tout en bas, là où le soleil ne rampe plus depuis longtemps.
Pourtant, il s’en souvient encore. Tout a commencé par un jour gris. La police venait d’arriver sur le terre-plein central d’un immeuble désaffecté et y avait trouvé Paul, entièrement nu, recroquevillé sur le bitume, déboussolé, ce bitume qu’il avait foulé quelques instants plus tôt, gai comme un pinson.
Lors de son interrogatoire, personne ne lui a demandé comment elle était habillée ce matin-là mais elle a tenu à le préciser, qu’elle n’avait pas autre chose à se mettre que des baskets blanches mais savoir quelle robe ou jean siérait à l’occasion, idem du rouge brillant qui couvrirait ses lèvres, elle y pensait depuis l’aube.
La veille, il avait eu une longue discussion au téléphone avec sa grand-mère qui avait compris la raison de ses récentes échappées aussi soudaines qu’inattendues à la ville. Faut pas lui tourner autour, qu’elle disait, cette fille-là, elle vient du bas, là d’où le malheur tire son nom. Bien sûr que le gamin des cimes était allé au rendez-vous, tu penses bien. Mais surprise, un grand gaillard accompagnait la belle. Celui-ci s’était jeté sur Paul et l’avait dépouillé de la seule chose qu’il possédait : son innocence."
Anne Fabregoul
Après une nuit d’un long voyage inconfortable, le froid avait saisi le garçon à la descente du train. Personne ne l’attendait sur le quai. Lourd d’une lassitude inconnue, il se dirige vers l’autocar campé tel un phare dans la brume matinale.
La veille, il avait eu une longue discussion au téléphone, avec sa grand-mère. Ils avaient programmé sa venue à Marseille pour le mois prochain. Rosalie était joyeuse et impatiente à l’idée de le rejoindre et de rencontrer enfin sa compagne. Le temps s’étirait, ils avaient parlé longtemps comme à leur habitude.
Elle ne connaîtra pas Alice.
L’autocar le dépose enfin devant l’épicerie, fermée depuis plusieurs mois. Il traverse lentement la rue et pousse le portillon. Partout la présence de la vieille dame se manifeste. Hier, elle coupait les roses fanées, désherbait les plates-bandes, étendait le linge, saluait gaiement les passants. Tous ces gestes familiers, elle ne les fera plus. Maintenant Paul est allongé dans l’herbe à l’arrière de la petite maison de pêcheur. Ses souvenirs d’enfance se marient à son chagrin. Il lui faudra du temps pour accepter. Après demain, Alice sera là, les amis, les voisins, la famille éloignée aussi. Mais en attendant, ce temps suspendu dans la solitude, appartient à Paul.
Nicole Larderet
Dans mon livre secret, le souvenir d’un matin d’hiver.
Tout a commencé par un jour gris, un jour monotone. Sous un ciel sombre, prison sinistre, éteinte et banale de janvier, je marche dans les rues, un peu distraite. Soudain un sifflement déchire l’air. C’est un vent glacial qui mord mon visage et mes doigts. Mes joues rougies sont presque en lambeaux. J’ai le souffle court. Je manque d’oxygène et respire avec peine.J’accélère un peu le pas. Je croise une silhouette féminine. Comme tout le monde, j’y fais pas gaffe au début. Mon attention, mes pensées sont ailleurs. Puis des questions me viennent alors que l’ombre a disparu au coin de la rue. Était -ce une illusion ? L’odeur de son parfum tenace me poursuit. Le bruit du vent fendant l’air est discontinu, dans une atmosphère qui devient lourde et pesante. J’avance encore et la silhouette réapparaît. Elle hésite, fait quelques pas vers moi. Surprise ! C’est mon amie Rose. Vingt ans que je ne l’ai pas vue. Nous nous rapprochons, nous embrassons et bavardons un peu. Puis, nous entrons au café nous réchauffer.,C’est à cet endroit, par un jour semblable à ce matin d’hiver, qu’on s’était séparée, il y a quelques années, quand elle était partie vivre dans la capitale.
Jocelyne REY
Dans mon livre secret, tout a commencé par un jour gris.
Dans le geste connu, le geste de travail, dans le geste refait chaque jour, un espace s’est glissé. Comme un souffle, un air de paradis. Il est venu me sortir de l’ennui. Il a brisé cette routine de travailleuse acharnée. J’avais dès lors envie de venir au boulot pour autre chose. Je voulais le croiser, le voir, l’admirer. Il était jeune et beau. Il était charismatique et souriant. Il était tout simplement envoûtant !
Dans mon livre secret, tout a continué par des jours ensoleillés.
Comme tout le monde, j’y fais pas gaffe au début. Et puis finalement, j’y prends goût. Je le guette par ma fenêtre, je surveille inlassablement cette porte, le tout sans aucune discrétion. Alors mes collègues m’aident en me faisant des signes quand il est là. Mais je suis bien trop timide pour l’accoster. Seulement un « Salut » furtif et niais au détour d’un couloir. Même si son regard de braise brûle le mien quand on se croise, je sens qu’il fait à peine attention à moi. Je m’en fiche, il égaye mes jours et illumine quelques nuits.
Dans mon livre secret, tout s’est poursuivi par des jours embrumés.
L’espace dans mes gestes de travail s’est vite refermé quand il n’est plus jamais réapparu. Et cela m’a replongé dans ma routine de travailleuse et mon ennui trop sérieux. Pourquoi n’ai-je pas osé lui parler ? Comment ne pas avoir de regrets maintenant qu’il a disparu ?
Dans mon livre secret, tout a fini par un jour de pluie.
Virginie ESCOFFIER
Dans mon livre secret il y a des paysages reposants, des paysages à couper le souffle. Un soufflement déchire l’air, le souffle du vent fait vibrer les feuilles des arbres, et ce n’est pour moi qu’une brise caressant mon visage. Il y a aussi les autres bruits de la nature qui me fredonnent des musiques apaisantes, tel le clapotis des vagues au bord de la mer. Mentalement tout a commencé par un jour gris, mais le cadre est propice au ressourcement. On y trouve le calme matinal égayé par le chant des oiseaux, ce début de journée coloré par une nature verdoyante qui s’éveille, les rayons du soleil irisant les gouttelettes de rosée. Les paysages se confondent, on passe de la montagne au bord de mer en suivant des sentiers arborés, comme si la forêt permettait de faire le lien entre ces deux univers, c’est un peu comme suivre le cheminement de la pensée d’un auteur. Dans mon livre secret je m’enivre de cette nature capable d’offrir autant de splendeurs.
Mel
« Dans mon livre secret, j’ose enfin écrire la honte que je n’arrive pas à partager. »
Cet après-midi là, Paul est allongé dans l’herbe. Il songe aux mots écrits pour la première fois .Il essaie de trouver, dans cette apaisante nature, des solutions au problème récurent qui le détruit peu à peu. Depuis quelques années, Naima expérimente un nouveau type de détresse : celui qui vient désormais de façon systématique avec la gueule de bois. Naima, sa femme, sa femme si fragile qu’il aime par-dessus tout, d’un amour si mal exprimé. Naima boit. Naima boit en cachette. Personne ne peut deviner, lui seul en est témoin. Naima boit pour combler son mal-être profond et qu’il n’a pas su voir. Ou trop tard. Et qu’il cache.Parce qu’il a honte. Naima boit. Et Paul écrit ou parle tout haut à présent : « Comme tout le monde j’y fais pas gaffe au début. Saloperie d’alcool ! J’ai rien vu ! Ou n’ai pas voulu voir.Putain d’addiction ! Le niveau des bouteilles d’alcool diminue. Je la questionne : elle nie. Je supprime tous les alcools de la maison : son haleine la dénonce, elle cache dans des recoins secrets des bouteilles que je ne trouve pas. Fais toi soigner Naima : elle nie sa maladie. Je vais partir Naima :
– Pars ! fiche moi la paix ! Je n’en vaux pas la peine !
Bouleversé, je reste. Je deviens agressif, méchant : elle accentue la dose. Je n’ai pour l’instant que mon livre secret pour exprimer ma peine : seul , coupable, impuissant ,honteux qu’on puisse découvrir notre enfer quotidien »
Denise Roux
Dans mon livre secret, il y a tant de choses.
Des souvenirs de mon enfance, des moments de bonheur et d’effroi.
Tout a commencé par un jour gris. J’étais encore petit, 5 ou 6 ans, mais ce souvenir est encore là bien clair dans ma mémoire. Ma mère vient me réveiller le matin et me regarde avec ses yeux verts de gris, avec une tendresse nouvelle, je remarque une larme qui naît à peine. Elle me tend mes vêtements : mon pull vert, mes culottes courtes et mon manteau avec cet horrible étoile jaune cousue dessus. On descend à la cuisine, et je saisi une pomme reine de reinette. Ma mère avait déjà mis son manteau avec son étoile jaune et nous sortons. Dans la rue, je regarde le ciel et je remarque que la nuit n’était
pas encore totalement partie. Le vent glaçant nous fouette, nous transperce presque. Au bout de la rue, nous voyons les phares d’une voiture allemande. Ma mère m’attrape et arrache mon étoile jaune.
Elle fait pareil avec la sienne sur son manteau. Ensuite, nous nous dépêchons vers la gare. Avec mes petites jambes, je trottine derrière elle, mais je suis à la traîne, essoufflé. Nous arrivons à la gare et ma mère m’emmène aux toilettes et me regardant les yeux dans les yeux elle me dit que j’avais l’autorisation de mentir : dorénavant je ne m’appelais plus David, mais Paul et que je ne devais pas parler, sauf si on m’obligeait.
Notre train était déjà à quai. Des soldats allemands armés de fusils attendaient les voyageurs avant la montée dans les wagons. Je sentais quelque chose de lourd dans l’atmosphère. Un homme refuse de montrer ses papiers et part en courant. Un cri horrible le fait s’arrêter et des soldats le poussent dans un véhicule garé pas loin. C’est notre tour. Tremblant légèrement, ma mère sort nos papiers et décline notre identité. Le soldat nous laisse passer. Nous montons dans le train et j’entends le sifflement du chef de gare déchirer l’air.
Nous voyageons des heures et des heures. J’entends quelqu’un crier : « prochain arrêt, Genève ». Le froid me saisit à la descente du train. Ma mère me prend par la main et de nouveau, elle montre nos papiers. Sortis de la gare, elle me dit dans un sourire, magnifique : « c’est fini ».
Rose Debray
Dans mon livre secret.
(Tout a commencer par un jour gris).
Le ciel était gris ; le monde paraissait si triste ; l’atmosphère si lourde !
Les passants aux visages fermés ; pressés de rentrer chez eux ne le voyaient pas.
Et pourtant il est bien là ; assis par terre dans l’indifférence totale ;
Il pleure en silence la main tendue.
(Comme tout le monde j’y fais pas gaffe au début)
Puis une intuition fait que je me retourne un peu plus loin.
Et je le vois ! C’est un gamin.
Mais où sont ses parents ? Que fait il la tout seul ?
Je m’approche doucement pour ne pas l’effrayer.
Il a 10 ans, il s’est perdu, il grelotte.
(le froid avait saisi le garçon a la descente du train)
Il m’explique ! Famille éclaté, déchiré, divorcé.
Il a fugué pensant retrouver son père pour le ramener à la maison.
Son visage s’éclaire d’un sourire plein d’espoir et confiant.
Il pense que son cœur est assez grand pour réparer les colères des grands.
Et surtout sécher les larmes de sa maman.
Marie Claire Sanchez- Moreno
Dans mon livre secret, il y a une histoire ratée. Une histoire avortée. Une histoire qui avait bien commencé mais qui n’a pu aboutir. Paul est allongé dans l’herbe. Il rêve. De la retraite. De notre vie ensemble après... " le boulot", nos vies séparées, notre quotidien loin d’être partagé. Mais il y avait les vacances, ensemble là-haut. Et puis... Paul est mort et tout s’est arrêté. Vivre et vieillir ensemble, là-haut, loin du chaos d’en bas. C’était notre rêve. c’était la forêt. Ils y bâtiraient une ville, disaient les villageois qui rêvaient de la vie des riches du versant d’en face. Nous on n’avait pas envie de la vie des riches. Nous on voulait les oiseaux, les champignons, le silence, le feu de bois, le ruisseau qui coule devant le chalet, et les nuits au clair de lune, sous le ciel étoilé. Tout a commencé par un jour gris. Un jour pas vraiment gris, car il faisait beau. On allait partager un repas en famille, dehors. C’était le printemps. Et tout s’est arrêté.
Noëlle Roth
La détresse des corps
Dans mon livre secret, Paul est allongé dans de hautes herbes mouillées qui lui griffent les mollets. Il n’est pas le dormeur du val. La nature, ce matin-là ne le berce pas chaudement. Il étire ses longues jambes endolories. Trop de grosses montées, trop de descentes rocheuses, trop de cailloux, trop de boue. Une course inhumaine ! Paul voulait sublimer l’effort d’endurance. Se dépasser. Mais son corps l’avait obligé à s’arrêter. Et il l’avait écouté.
D’ailleurs tout avait commencé par un jour gris. La montagne était morose. Il avait senti que c’était un mauvais jour, un jour sans fin. Mais le pire était arrivé quand un sifflement avait déchiré l’air. Un cri perçant où la douleur résonnait. Un puissant cri de désespoir. Paul s’était levé péniblement. Son regard avait franchi les grandes herbes piquantes. D’où venait ce cri ?
Soudain il avait vu un homme hagard qui tremblait. Paul s’était approché. Péniblement. Couvert de boue, des écorchures sur les jambes, Paul vit un corps qui avait perdu la bataille. L’homme s’était effondré, secoué par des spasmes violents. Qu’est-ce que Paul pouvait faire ? Seule la montagne était le témoin silencieux de leur souffrance. Alors épuisé, Paul s’était laissé tomber aux côtés de cet adversaire malheureux dont les larmes coulaient sur le visage tuméfié.C’en était fini de l’aventure avec ce goût désagréable d’inachevé.
Violette Chabi
Dans mon livre secret caché au fond du tiroir de mon chevet est écrite l’histoire de Paul, mon oncle, avec lequel j’avais beaucoup d’affinités et qui me l’a racontée quelques jours avant son grand départ.
Je vais vous la narrer :
Tout a commencé par un temps gris, c’était l’automne, les nuages envahissaient le ciel. Paul allongé dans l’herbe, le regard triste, voulait tout oublier car la veille il avait eu une grande discussion au téléphone avec sa grand-mère au sujet de la famille.
Il voulait connaître les origines sur la couleur de sa peau et son faciès. Il n’avait aucun point commun avec son frère. Personne ne voulait lui répondre. Il s’est toujours senti différent il avait l’impression d’être le vilain petit canard.
Sa grand-mère finit par céder et lui dit que son père lors d’un voyage au Japon avait eu une aventure avec une jeune femme qui ne voulait pas garder le bébé et il l’avait ramené en France pour l’élever. Sa mère n’avait jamais demandé de ses nouvelles. Elle lui indiqua son nom. Elle était mariée, avait une fille et habitait à Tokyo.
Sans rien dire à son père Paul se rendit à Tokyo pour entreprendre des recherches qui furent fastidieuses. Il savait que sa sœur était avocate ce qui lui a permis de la retrouver. Il lui proposa de la voir. Ce fut un moment à la fois rempli d’émotion et de gêne car elle était distante. Elle finit par lui dire que sa mère était en vie et qu’elle lui parlerait de leur rencontre.
Quelques jours plus tard, il put se rendre au domicile de celle-ci qui était très émue et heureuse de le voir. Elle lui expliqua qu’elle avait été obligée de l’abandonner car elle n’avait pas les moyens de l’élever. Elle avait 17 ans. Ils ont parlé longtemps et se sont fait la promesse de se revoir.
Il rentra en France et raconta tout cela à son père très heureux d’apprendre que la femme qu’il avait aimée profondément était vivante. Ils décidèrent de retourner au Japon tous les deux.
Les retrouvailles furent intenses. Et plus tard son père, veuf, s’installa définitivement au Japon avec l’amour de sa vie.
Paul allait les voir tous les ans soulagé d’avoir eu des réponses à toutes ses questions.
Voilà l’histoire de mon oncle qui a recherché longtemps l’origine de sa naissance et souvent il a pensé qu’il aurait mieux valu lui dire la vérité pendant son enfance. Cela aurait évité son mal être.
Sylvaine Beaumelle
Dans mon livre secret se cache l’histoire d’une renaissance.
Un sifflement déchire l’air. L’air pur et vivifiant de la montagne. Le train en provenance de Toulouse entre en gare d’Ax-les-Thermes. En comparaison de la grande ville, l’ambiance apaisante de cette charmante petite bourgade vous invite à une vraie pause, ou prendre le temps de vivre, s’offrir une parenthèse dans la routine de son quotidien.
Le froid avait saisi le garçon à la descente du train. Froid annonciateur de moments partagés dans la chaleur des foyers, mais aussi avec la nature environnante déjà recouverte de son manteau neigeux, d’un blanc immaculé rendant ainsi hommage à la beauté des lieux.
La veille, il avait eu une longue discussion au téléphone avec sa grand-mère. Lui qui était si proche d’elle étant enfant, il avait ressenti ce besoin vital de lui parler. Entendre sa voix, ses mots plein de bienveillance, se confier à elle, avait été comme un déclic pour lui, à ce moment précis de sa vie où il ne s’était jamais senti aussi perdu. Un retour dans le village de ses aïeuls, revoir sa grand-mère trop longtemps délaissée, lui permettrait de renouer avec ses racines profondes, l’aiderait à trouver sa voie, à se retrouver lui-même. La vie peut parfois nous perdre, mais si nos yeux et notre cœur restent ouverts, elle peut aussi nous offrir un nouveau départ, inattendu et plein d’espoir sur l’avenir.
A chacun de s’autoriser à le vivre.
Delphine RAMOS
Dans mon livre secret, que trouverais-je à écrire ?
Tout a commencé par un jour gris, dans le geste connu, le geste de travail, dans le geste refait chaque jour, un espace s’est glissé.
– Savez-vous ce qu’est une aporie ?
L’homme m’avait interpellé, sans me regarder comme si je n’existais pas. Une question rhétorique, sans politesse, qu’il avait lancée en même temps que je posais son café devant lui.
– La contradiction insoluble dans un raisonnement, un simple serveur qui enchante votre journée avec la sagesse de son expérience. Sa lassitude agressive s’était évanouie en un sourire et pour moi la certitude d’un pourboire. Je n’étais plus un fantôme.
– Je cherche l’antinomie politique en une phrase, la citation parfaite, le truc mortel qui laisse sans voix l’avenir.
– Est-ce le pouvoir qui corrompt ou est-ce seulement les personnes corrompues qui atteignent le pouvoir ?
– Trop épigraphe, trop facile, trop déjà lu ! Je voudrais la formule la plus concentrée possible. Un slogan percutant qui donne du rêve et de l’espoir mais qui s’autodétruirait, le Graal qui prouve que l’homme est responsable de la fin du monde.
– C’était la forêt ; ils y bâtiraient une ville.
Renaud B.
Dans mon livre secret, se cachent mes souvenirs. Mes menus plaisirs : une tasse de café, le souffle du vent dans mon cou, la tendresse d’un baiser, l’odeur de l’herbe fraîchement coupée. Mais aussi des sujets plus importants : un chapitre entier est consacré à la famille, à celle qu’on ne choisit pas, à celle qu’on adopte. Ce chapitre originel, la base sur laquelle on construit est presque aussi important que celui qui évoque la féminité, mon livre secret raconte la naissance d’une femme. Dans ces lignes on découvre la délicatesse et la fragilité d’une vie au-delà des apparences. Une poésie des relations humaines, la danse des émotions. Mais mon livre secret n’épargne rien des blessures, comme on reçoit une balle en pleins cœur, il parle des séparations et des deuils. Il évoque l’ombre et la lumière.
Mon livre secret est à l’image de l’âme humaine complexe et impénétrable, mais toujours authentique et brut. Mon livre secret est un diamant.
Amandine Saadi
Dans mon livre secret voici la belle histoire que j’ai retrouvée :
Tout a commencé par un jour gris. Ce jour qui allait marquer le départ vers une nouvelle vie. Baptiste n’avait pas connu ses parents. Il avait été abandonné à la naissance et placé dans des familles d’accueil. Il n’y avait jamais ressenti la moindre tendresse et avait été privé de liens affectifs. Il n’avait jamais manqué de soins matériels mais ce n’est pas suffisant pour aider un enfant à bien grandir. A l’âge de 13 ans il avait découvert qu’il avait une grand-mère, la mère de sa maman qui le recherchait depuis des années. Il avait réussi à lui faire passer son numéro de portable.Baptiste avait décidé de quitter cette famille d’accueil dont les parents se désintéressaient de lui et dont les enfants le rejetaient méchamment. La veille, il avait eu une longue discussion au téléphone avec sa grand-mère qui d’avance se réjouissait d’accueillir ce petit- fils tant espéré. Très tôt le matin Baptiste s’était enfui en prenant un train qui allait conduire ce passager clandestin vers son nouveau destin. Le froid avait saisi le garçon à la descente du train mais les bras accueillants de sa grand-mère l’avaient très vite réchauffé et empli son cœur d’amour pour le guider pendant de très longues années.
Évelyne Creux
Dans mon livre secret, là où sont consignées les blessures devenues cicatrices, là où l’on confie ce que l’on tait, il y a des silences coupables, des maux muets et des injustices criantes. Tout a commencé par un jour gris.
Je ne connais que le blanc et le noir…c’est mon côté binaire. Comme tout le monde j’y fais pas gaffe au début…L’activité pressante et le temps compressé ne laissent pas la place aux pensées. Placer la pièce à percer sur le plateau entre les mâchoires de l’étau, déplacer la tête sur la colonne à l’aide des leviers pour percer la pièce au foret, s’appliquer à usiner un fragment parfait destiné à s’insérer dans un mécanisme de précision qui deviendra objet de luxe, symbole de réussite pour certains et de convoitise pour d’autres. Dans le geste commun, le geste de travail, dans le geste refait chaque jour, un espace s’est glissé.Le corps s’est mécanisé, il accomplit en rouages ordonnés la tâche quotidienne attendue.L’entretien à sa bonne marche en vue du rendement par le carburant et l’arrêt de la machine n’est plus assuré. Plus vite, encore, toujours plus. L’habitude a annihilé la conscience, la répétition rythmée par le bruit mécanique incessant est devenue mesure, bit du chaos. Le métronome du bonhomme. Qui de la machine ou la main maîtrise la cadence ?
Qui est sujet, qui est objet dans le mouvement qui s’apprête à rompre ?
Je lève la tête en direction du cadran circulaire où les aiguilles trottent vers l’heure de la pause et oublis en cette seconde que l’espace entre mes yeux et la pendule est plus long que celui entre la perceuse colonne et mon doigt.
Incident mineur du majeur dira le médecin : un accident de travail.
Un majeur en extension dressé en signe de révolte
Pascale Giraud
Dans mon livre secret, je dépose mes réflexions, mes sentiments. Aujourd’hui, une page familiale nuancée. Comme tout le monde, j’y fais pas gaffe au début. Les retrouvailles sont grisantes, cinq ans qu’on ne s’est pas rassemblés. Sourire aux lèvres, yeux rieurs, Marcelle et Jules, nos patriarches, accueillent les arrivants. On débarque, on s’embrasse, on s’exclame ! On y est, quatre générations réunies ! On se présente les nouveau-nés, on s’étonne de la métamorphose des enfants.Les aïeuls discourent et poétisent l’histoire familiale, les mômes courent et crient gaiement autour des tables. On s’échange des tranches de vie, on se félicite, on s’encourage. Il me faut du temps avant de remarquer une silhouette immobile, presque désynchronisée du mouvement ambiant. La compagne de Mathieu, petit-fils de Marcelle et Jules. La veille, il avait eu une longue discussion au téléphone avec sa grand-mère. Au fil des rendez-vous familiaux, la jeune femme s’est révélée fragile et éprouvée. Des démons l’assaillent, j’imagine qu’elle ignore ou déteste peut-être notre compagnie et cette effervescence joyeuse. Depuis quelques années, Naïma expérimente un nouveau type de détresse : celui qui vient désormais de façon systématique avec la gueule de bois. Elle déambule, regard flou, démarche incertaine, verre de vin à la main. Elle contourne, évite, s’isole. Je me dis que c’est le paradoxe de la vie, le mal-être côtoie le bonheur, sans qu’on puisse changer les choses. En ce jour heureux, j’éprouve de l’impuissance et de la tristesse.
Myriam Finot
Le marque-page
Dans mon livre secret, posé sur ma poitrine qui se soulève lentement à cette heure chaude de l’été, toutes les aventures, même les plus intrépides, mêmes les plus rocambolesques. Une fois de plus, j’ai emporté mon précieux ouvrage. Je ne laisserai personne s’en emparer, quoi qu’il advienne.
Le béret basculé sur les yeux, j’invite Paul, mon ami parti pour ces deux longs mois de vacances, à me rejoindre sans déranger le bruissement continu des insectes. C’est un rêve, bien sûr, mais qui sait s’il ne pourra pas prendre corps. J’y crois dur comme fer. J’écarte mes doigts et je tends les mains vers les herbes douces. C’est le prélude aux retrouvailles. Mes caresses s’amplifient.
Paul est là, allongé dans l’herbe. Enfin !
Ils vont pouvoir poursuivre le rêve ensemble. Leur rêve grand comme si c’était la forêt. Ils y bâtiraient une ville, vaste comme une mer, puissante, avec ses dômes et ses cathédrales, ses chevaliers et ses marchands gueulards.
Le remue-ménage dans le compartiment venait de réveiller Bastien, assoupi le temps d’un souvenir. Locomotive et wagons entraient en gare. Malgré la touffeur de l’air, voilà que le froid avait saisit le garçon à la descente du train. Il avait un rendez-vous ultime avec Paul qui désormais reposait au cimetière. Il n’avait pas oublié son livre.
Véronique Pédrero
Dans mon livre secret se cache une histoire incroyable. Dans la tranquillité de la campagne, Paul est allongé dans l’herbe. Les fleurs des champs qui colorent lverdure achèvent ce tableau rimbaldien. Soudain un sifflement déchire l’air. Paul ouvre un œil et a juste le temps d’apercevoir le postérieur d’une marmotte regagnant son terrier. Il s’assoit. Qui vient ? Des randonneurs sans doute. Il ne voit rien, n’entend rien. La veille, il avait eu une longue discussion avec sa grand-mère. Elle lui avait conseillé du repos, du calme. « Monte donc au Clos Raffin. A cette saison, il n’y a pas grand monde. »De là, il domine le Chazelet, un joli petit village de montagne. Mais il n’a d’yeux que pour la Meije majestueuse qui domine. Et, il est tout à sa rêverie quand tout à coup il sent une présence derrière lui. Une menace même. Doucement, il tourne la tête et il se fige. Un loup ! Un loup est là à quelques mètres de lui. Le loup ne bouge pas. Son regard d’ambre le fixe, plus méfiant que menaçant. Paul se retourne très doucement et lui fait face. Ils se scrutent. Chacun cherche à comprendre l’autre. Les minutes semblent des heures. Le temps et l’espace sont abolis. Juste Lui et Lui. Peu à peu la peur s’estompe et Paul se détend. Alors dans un mouvement brusque et soudain le loup pivote et s’éloigne à toute vitesse Paul se demande s’il a rêvé. Rien ne témoigne d’une vie sauvage. Les campanules et les gentianes rivalisent de beauté. Une marmotte tente une cabriole. Ne soyez pas incrédules ! Mon histoire est vraie puisqu’elle est écrite dans mon livre secret.
Claire Deroeck
Schizoïdie
Dans mon livre secret il y a tout moi, dit le garçon. Mais vous ne voyez rien, toutes les pages sont blanches. Tout moi c’est ma mémoire, celle qui transforme, trie, parcelle, trompe, s’efface. Mon livre est aussi celui que je relis inlassablement, secrètement, et que vous ne lirez peut-être jamais. Vous ne saurez rien. Tout a commencé par un jour gris, on m’a dit, yeux gris-bleu (bleu-gris ? ), grise mine, aigri, c’est pour ça que j’aime tant les chats, ceux de la nuit. Longtemps après je suis parti, loin, sans rien dire, avec mon secret. Le froid avait saisi le garçon à la descente du train, le garçon du livre, vous savez. Lui et moi nous avons longtemps été disons… malades ; comme tout le monde, j’y fais pas gaffe au début puis, lentement j’ai rencontré ma folie, ou celle de l’autre (la vôtre ? ), je ne sais plus. À vous de voir. Vous avez quelques indices pour décoder mon livre secret. Du moins, c’est ce que vous pensez. Je vous attends.
Eric Protin
Boulevard Haussmann
Dans mon livre secret les pages restent blanches. Ma main aux jolis ongles est programmée pour ma beauté. Tout a commencé un jour gris, gris comme la nuit, comme l’ennui. Triste comme la pluie. Dehors, les talons aiguilles pressent le pas devant le rideau métallique encore baissé. Comme tous les matins. Je les attends, ils s’arrêteront ce soir. Moi, je suis là derrière ma vitre ! Le même sourire. Le même regard. La même cambrure. La même estrade. Je porte des baskets dorées. Toujours. Elle me déshabille. Elle me laisse nue sans aucune pudeur… Elle m’habille avec beaucoup d’élégance, sans un mot, sans amour, brutale. Tous les matins depuis vingt ans. Un rituel. Dans le geste connu, le geste de travail, dans le geste refait chaque jour, un espace s’est glissé. Le geste est devenu douceur. Les doigts ont effleuré ma peau. Un interdit ! Un sifflement déchire l’air. Alarme hurlante. Le feu embrase la jupe de tulle et de dentelle, déforme mon visage. La cire fond. Mon corps se disloque. Objets inanimés, avez-vous donc une âme ? Troublante interrogation d’Alphonse, à écrire s’il vous plaît dans mon livre. Demain de tout nouveaux modèles plus séduisants, en métal, bois ou tissu, sans visage et sans âme, prendront ma place.
Geneviève Protin
Rencontre
Dans mon livre secret, je relis les pages écrites ce matin même, lors de la rencontre de ce jeune voyageur assis dans le train juste en face de moi.
Comme tout le monde, j’y fais pas gaffe au début, puis, peu à peu, mes yeux se posent sur ce regard mystérieux, d’une tristesse infinie. Surprise, j’essaie de m’engouffrer jusqu’à cette pupille vibrante, baignant dans un iris clair, limpide, mais trop humide et totalement désespéré.
Voyant que je les scrute, les coquillards s’esquivent puis se ferment brusquement. Ce n’est qu’à la fin de notre voyage qu’il m’explique que, la veille, il avait eu une longue discussion au téléphone avec sa grand-mère qu’il appelait Mimite.
Ce sont les mots qu’elle a prononcés qui l’ont décidé à faire ce si pénible voyage.
Pendant son discours, ses pupilles étincellent, ses quinquets avouent une fracture, une fêlure énorme. J’ai peur qu’ils se disloquent, se dis-jointent par tant de colère contenue ou qu’ils éclatent, dégringolent en morceaux sous le poids d’un trop lourd fardeau. Je m’attends à devoir les ramasser à la pelle ! ... Nous sommes arrivés ! Juste le temps de l’encourager d’un long sourire, rempli de force et de confiance !
Déjà, le froid avait saisi le garçon à la descente du train.
Manin Christiane
Dans mon livre secret, j’engrangeais mes rêves éconduits, j’entassais mes pensées brouillonnes, je déversais mes envies et échafaudais des projets inavouables. Mes compagnons imaginaires se faufilaient entre les lignes pour dériver vers des lieux inconnus : c’était la forêt ; ils y bâtiraient une ville.
La forêt, mon refuge. Un sifflement déchire l’air, des pépiements, des sibilations, des trilles joyeux transpercent la frondaison. Il me rassure, me ramène à la vie. La brise matinale effleure les feuilles d’un vert juvénile et vient caresser ma peau dénudée pour mieux en goûter le frisson. Revenir aux origines, édifier cette villa – vie là, une cité sylvestre où le tohu-bohu urbain n’aurait pas droit de passage. Cette détestation de la ville, je l’ai sentie sourdre en moi quand mes montagnes se sont éloignées de ma vue.
Tout a commencé par un jour gris. Un voile opaque obscurcissait la ville où je n’avais pas choisi de vivre. Mon regard troublé ne parvenait pas à percer la lumière sombre que l’unique fenêtre de ma chambre laissait filtrer. Je m’étais levée avec appréhension, comme chaque matin, et le nœud qui m’étreignait se resserrait à mesure que les minutes s’égrenaient. Mes yeux inquiets fouillaient l’épaisseur du jour qu’il me faudrait traverser. Je titubai, mon corps ne m’appartenait plus. Un cri. J’expulsai le cri que ma raison avait étouffé. Fuir. S’échapper. Filer, me carapater pour me sauver. J’avais retrouvé ma voix. La ville me chassait mais je n’étais plus une proie, un gibier soumis. Je savais où j’allais. Enfin.
Catherine Spinard
Dans mon livre secret, j’ai consigné une histoire, mon histoire. Celle d’un jeune homme de 20 ans, Paul, qui rêvait de liberté et pour cela a pris tous les risques et bravé tous les dangers !
"Paul est allongé dans l’herbe, jambes croisées. Il mâchonne un brin d’herbe. Sur son bras court une coccinelle vagabonde.Le vent frais caresse son visage. Il ne réalise pas encore...
La veille, il avait eu une longue discussion au téléphone avec sa grand-mère. Sa décision était prise, il fallait lui annoncer. Cela lui avait coûté bien des larmes mais mamie Jo avait compris. Mieux, elle avait encouragé son petit Paul dans son entreprise : fuir sans se retourner. Alors, il avait fait ses adieux et, fort du soutien de mamie Jo, était parti.
Il avait marché longtemps le long de la voie ferrée.
De l’autre côté : la frontière ! Il n’a que peu de temps pour profiter du passage du train, ramper dans les herbes hautes, escalader le grillage, se jeter dans le fossé puis courir loin...
Juste avant de plonger vers la liberté, un sifflement déchire l’air. Pas le temps d’avoir peur, pas d’hésitation ! C’est une balle qui a frôlé ses oreilles. Ne pas ralentir, ne pas se retourner, courir dans la nuit sans lune qui le protège.. Paul a vingt ans, il vient de passer à l’ouest vers le monde libre..."
Un jour, ses petits-enfants liront ce livre secret et sauront qui était leur grand-père. Ils seront sans doute fiers de ce combat pour la liberté qu’il a mené au quotidien. Ils comprendront mieux ses colères et ses angoisses face à la montée des nationalismes, du racisme et de l’intolérance.
Françoise Boyat
La fin du livre
Dans mon livre secret, un journal intime que j’avais commencé au début du mois, mes notes s’arrêtent quinze jours plus tard. Lorsque je l’ai retrouvé, un an s’était écoulé ; mon état de santé et ma situation avaient bien changé. J’ai tout d’abord pensé le détruire, car à mes yeux, il ne présentait plus aucun intérêt, mais après réflexion j’ai décidé d’en rédiger la conclusion. 16 août 1914 : Je me souviens que tout a commencé par un jour gris, mauvais présage pour un jour d’été. Nous étions à l’orée du bois de la Haute-Croix, le canon tonnait au loin. Comme tout le monde, j’y fais pas gaffe au début, manque d’expérience, mais les tirs se rapprochaient dangereusement de nous. Soudain un sifflement déchire l’air, puis un autre. Paul est allongé dans l’herbe à côté de moi, je me souviens de ses derniers mots : aujourd’hui, je sais « pour qui sont ses serpents qui sifflent sur nos têtes ». Il ne croyait pas si bien dire. Le coup d’après décima notre escouade, Paul fut tué sur le coup, tous les autres furent blessés. Hier, l’infirmier me voyant peiner depuis bientôt une heure sur ma feuille de papier me regardait avec curiosité et compassion. Je lui fis remarquer qu’il n’est pas facile d’écrire avec des prothèses d’avant-bras, mais cet effort je le devais à la mémoire de mon ami Paul. J’ai alors définitivement fermé mon carnet.
André Bouisson
Dans mon livre secret enfoui dans les replis de ma mémoire figure une expérience étonnante, une déchirure dans la conscience linéaire de mon existence. Tout a commencé par un jour gris, un matin d’automne maussade où je me tenais sur la place du village au milieu d’un groupe d’individus agités à la mine sombre, élus locaux, entrepreneurs, ingénieurs chargés de mettre en œuvre un important projet immobilier. Les yeux fixés sur l’immense étendue verte qui ondulait à l’horizon, ils prirent alors une décision insensée : c’était la forêt, ils y bâtiraient une ville. L’équipe chargée du défrichement dont je faisais partie attaqua sans tarder son travail de destruction. Les bûcherons tronçonnaient, cisaillaient, abattaient à tour de bras. Mais au fil du temps dans le geste connu, le geste du travail, dans le geste refait chaque jour, un espace s’est glissé. Et dans le vortex temporel qui nous aspira pénétrèrent le chant de la canopée, le murmure des végétaux, les grondements de la nature combative, le souffle de la vie et les mots d’amours de l’univers. A l’issue de cette étrange parenthèse, une lueur nouvelle brillait dans les yeux des hommes qui tous abandonnèrent le chantier. Le projet fut écarté, puis définitivement oublié.
Christine Gillet
Dans mon livre secret, je garde une histoire que ton frère m’a raconté la dernière fois que je l’ai vu. Puisque tu insistes, je vais te la raconter cette histoire et j’espère qu’elle te permettra de retrouver sa trace.
Tout a commencé par un jour gris. Ce gris si typique du ciel de Lima au mois de Juillet, accompagné de l’air cru du matin, d’une humidité si intense qu’on a l’impression que le froid pénètre nos os et prend un malin plaisir à tirer dessus. Heureusement, il savait que ça ne durerait que quelques heures, le temps qu’Inti fasse s’envoler ces gouttelettes.
La veille, il avait eu une longue discussion au téléphone avec sa grand-mère, qui est également la tienne par la même occasion, à propos de la vie, de son sens, son but, de ce qu’il pourrait en faire maintenant qu’il était libre de tout obligation. Comme tu le sais, ils avaient besoin, Léa et lui, de s’accomplir dans un projet plus grand qu’eux.
C’est ainsi qu’ils étaient partis en bus vers l’Amazonie, sans trop se soucier des détails matériels chers à certains. C’était la forêt ; ils y bâtiraient une ville. Mais pas n’importe quelle ville, une ville à leur image, une ville dépassant les clivages et plus adaptée pensaient-ils, aux défis de demain.
Sylvain Boyer
Dans mon livre secret rien n’est anodin ou insignifiant. J’y dépose tout ce que je trouve. Tout à commencé par un jour gris, plombé de nuages annonçant une journée triste et faste en pluie. Le plafond est bas, je suis absente, rêveuse, ni bien ni mal. J’ai ouvert un cahier et je me suis laissée aller à gratter le papier me procurant une sensation rassurante. Doucement au fil des jours, j’ai appris. Puis, tel un professionnel qui, dans le geste connu, le geste de travail, dans le geste refait chaque jour, un espace s’est glissé. Mon espace. Noircir ce cahier est devenu une habitude maîtrisée avec une technique sans faille, un besoin. Comme tout le monde, j’y fais pas gaffe au début, puis naturellement je corrige mes incorrections, je recadre le « j’y » en « je ne » et je me livre jusqu’à la sérénité. J’écris, je conjugue, j’essaye, je délire, je tente. Dans mon livre secret, j’ose parler de moi, je me permets, je me délecte, je m’écoute. Je me livre dans mon livre mais... chut... c’est un secret.
Annick Dutérail
Incipits
Dans mon livre secret, aujourd’hui, je me suis mis à y écrire. Tout a commencé par un jour gris, un de ces jours gris qui pèsent lourd sur la peau et les os, qui pèsent sur nos carcasses et nous clouent au sol. Alors je me suis dit je pourrais créer mon livre secret, mon monde secret. Alors je me suis mis à écrire une histoire, sûr de ma main, de mes intentions, de ma maîtrise. Comme tout le monde, j’y fais pas gaffe au début, enfin, peut-être que c’est comme ça seulement pour moi, mais dans le geste connu, le geste de travail, dans le geste refait chaque jour, un espace s’est glissé et mon propos, mon écriture m’ont échappé. Comme à une sainte en extase, des voix se sont imposées à ma main, tu pourrais écrire une histoire avec une Bérénice, que tu trouverais franchement laide au début, une grande histoire d’amour quoi, ça te sortirait de ton marasme. Ou pourquoi pas, puisque tu te prends pour une sainte, ne pas traverser l’Enfer pour atteindre au Paradis, dans une langue novatrice, devenir démiurge. Tu en rêves ! Ou, alors, dans un style épique, napoléonien, commencer par un : Jeune, je rêvais souvent que, comme Bonaparte, je faisais une entrée triomphale dans Milan. Chose étrange, car je n’étais ni de tempérament belliqueux ni n’avais de désir de gloire, et encore moins une quelconque appétence pour Milan. Mais… Je sentais bien que toutes ces voix n’étaient pas miennes. Qu’elle venaient d’un ailleurs ancien. Qu’elles m’entraînaient sur des sentes friables, déjà empruntées, dans des lieux connus dont j’avais oublié le nom. Ce rêve étrange ne pouvait pas, me disais-je, n’être dû qu’à ma lecture de Stendhal. Ou même de Dante, ou d’Hugo, non, pas Pratt ! mais celui des Misérables, ou même de… Non, décidément, toutes ces hésitations montrent bien que je ne suis pas du bois dont on fait les Napoléon. Ni les écrivains de livres secrets. Tant pis.
Juan Vila
L’histoire de Paul
Dans mon livre secret j’ai consigné l’histoire de Paul, j’étais le seul à lui parler, sa famille trop originale demeurait à la marge géographiquement et humainement. Pourtant, sa disparition pendant plusieurs jours avait ébranlé tout le village. Quand je l’ai retrouvé, comme le dormeur du Val, Paul est allongé dans l’herbe, le ciel comme écran de cinéma, son corps s’enfonce dans la terre, l’herbe restera couchée encore longtemps après son départ alourdie par sa nostalgie. Le bleu du ciel comme sur les tableaux de Van Gogh s’étend immense comme la liberté. La veille il avait eu une longue discussion au téléphone avec sa grand-mère, elle avait demandé à Paul de ne pas venir, il fallait que ce soit un adieu sans tristesse, sans précipitation au chevet du mourant dans un lieu froid et impersonnel. Puis un appel comme un sifflement qui déchire l’air avait vrillé le cœur de Paul telle une césure où plus rien n’existe, c’était le signe annonciateur du grand départ de sa grand-mère vers un ailleurs. Paul continue de garder simplement en mémoire la dernière demande de sa grand-mère celle de porter haut les valeurs qui unissent les hommes, tous les hommes.Dans mon livre secret j’avais souligné cette dernière phrase afin que moi aussi je garde la foi dans l’humanité.
Géraldine Jimenez
Dans mon livre secret, tout a commencé par un jour gris, les nuages étaient bas, puis il s’est mis à pleuvoir, on aurait pu croire qu’il allait faire nuit tellement il faisait sombre.
Cela arrangeait bien Paul, allongé dans l’herbe, il s’était caché pour échapper à ces chasseurs. Les herbes étaient hautes, personne ne pouvait le voir, il tremblait il avait peur, et la pluie tombait de plus en plus fort. Il commençait à être trempé. Il regarde autour de lui afin de trouver un abri plus sûr, puis un sifflement déchire l’air. Il aperçoit au loin un train, puis une gare. Il se met à courir aussi vite qu’il peut, le train ralenti pour s’arrêter à la gare. Paul entend les chasseurs plus loin derrière lui. Il a juste le temps de sauter dans le train que déjà il repart. Maintenant il doit se cacher dans le train. Il se demande si cette course va finir bientôt, il est tellement fatigué. La nuit va bientôt tomber mais mon livre secret n’est pas fini.
Mme pivot-pivot Christine